25 avril 2012

Le 1er Mai sera son dernier


Un présentateur météo a récemment résumé le climat politique du temps présent : « le front menace » d’où, sans doute, ce printemps électoral pourri.

L’entre-deux-tours de passe-passe illusionne comme une folle entre-deux-guerres : de l’agitation, du faux débat, des invectives qui nourrissent la confrontation et laissent de côté les explosions économico-sociales à venir. Une parenthèse presque ludique avant les attaques sans concession, l’économie et ses impératifs, l’Europe plus incertaine que jamais et les calamités éludées.

Ces jours occultent la réalité lourde et complexe des problèmes à résoudre. L’électorat vient de placer en cinquième position le seul candidat qui rappelait depuis 2007 l’obligation cruciale de désendetter les finances publiques. Prime aux candidats-autruches qui se concentrent sur la stratégie politicienne, sur des polémiques dérisoires et sur les reports de voix à obtenir, laissant dans le brouillard la qualité intrinsèque d’un projet quinquennal et d’un dessein crédible. La France, ballotée d’un bouc émissaire l’autre, vogue bien loin des nécessités fondamentales.

Après l’inutile série du premier acte (halal, permis à points, etc.), le vote des étrangers et la qualité des travailleurs défilant le 1er Mai concentrent l’énergie de la parole des deux finalistes. Tout ça pour transformer la fête du travail en terrain de concurrence des chapelles politico-syndicales. Minable.

Un peu comme la paternité de cette date que les uns revendiquent comme ayant sa source dans l’Internationale communiste et que les autres rattachent sans l’avouer à la France de Vichy (une Saint-Philippe pour fêter et le travail et Pétain). Raté ! Il faut aller chez les Yankees, en 1886, pour dénicher les racines du combat pour un monde du travail amélioré. Avec la fusillade de Haymarket à Chicago contre ceux qui revendiquaient les huit heures (de travail, de sommeil et de loisir), les premiers martyrs ouvriers sont américains. La IIème Internationale sise à Paris pour le centenaire de la Révolution française ne fera que s’approprier une rébellion née aux États-Unis. Les neuf morts à Fourmies, le 1er Mai 1890, ne seront qu’un écho aux pendaisons des rebelles outre-atlantique.

En attendant le 21 Juin, la saison reste fraîche et les cieux couverts par des fronts persistants.

09 avril 2012

Oui, prenez la France maintenant !


Au milieu du Village des Dix Champignons s’élève un mont boisé formé, il y a bien longtemps, par la terre évacuée pour édifier le palais voisin. Depuis, les enfants du moment construisent autour leur cabane et jouent régulièrement à un dérivé du Chat : parvenir au sommet de ce qu’ils ont surnommé le Fort Alamo, sans se faire toucher par un autre, et y rester cinq secondes, en sachant que le toucheur et le touché doivent retourner au point de départ. Le parcours est long, aléatoire, semé d’embûches et truffé de caches, mais s’y essayer demeure irrésistible pour les bambins en devenir.

Comme pour tout jeu collectif, on repère très vite les figurants : ceux qui n’ont aucune chance d’atteindre par leurs propres moyens le sommet, même si certains font beaucoup de bruit pour donner le change. Carence première : le manque de souffle et l’incapacité de s’adapter au terrain accidenté. Parmi la bande des concurrents de l’année, on peut ainsi faire un premier tri.

Jacques, pour commencer, qui n’a plus rien du gamin véloce, s’il l’a jamais été, mais qui persiste à prendre part à l’aventure sans pouvoir débuter l’ascension. A l’observer, on hésite entre l’admiration pour une si vaine détermination, la moquerie de ses inutiles gesticulations et le mépris pour ce chenu marmot qui occupe la place d’un autre aux performances peut-être moins calamiteuses.

Philippe a lui l’excuse du débutant. Il découvre le gigantesque terrain pentu et ne transporte sans doute pas le bagage adéquat pour l’efficacité de l’engagement. Il a pourtant été préparé par son camarade Olivier, brillant concurrent de la partie précédente, mais rien n’y fait. Le mioche stagne au bas de la colline.

Et que dire de sa cousine Nathalie, elle aussi nouvelle venue, qui reprend tous les tics de sa vieille sœur Arlette, l’insubmersible n’ayant jamais atteint six pour cent de l’itinéraire choisi. Avec le temps, elle était parvenue à se rendre incontournable et attachante alors qu’elle n’avait qu’une obsession, si elle avait pu s’affranchir des règles du jeu : écharper ses concurrents et embrocher leur tête au bout d’une branche. Nathalie la hargneuse semble bien partie pour la même disposition d’esprit, mais saura-t-elle susciter la même affection condescendante des autres mômes ? Affection simulée bien sûr : dans ce genre de course toute sincérité est une faille que l’adversaire exploite pour mieux vous éliminer.

L’un des deux Nicolas n’a d’ailleurs pas bien assimilé ce principe premier. Il se veut le coureur au grand cœur souverainiste. Il chemine ainsi dans une autre sphère, oubliant la présence de ceux qui le poussent dans un trou. Pauvre Nicolas qui voudrait du loyal, du franc, là où ne règnent que stratégies, postures et coups bas. Qu’il s’échine à cultiver son importance somme toute particulaire. Il laisse ainsi le champ, et en l’espèce le mont libre aux autres.

C’est comme la fragile Éva qui vient de se prendre un monumental gadin à force d’embrasser chaque arbre qu’elle rencontre sans regarder où elle met les pieds. On lui a pourtant répété que Mère Nature n’a rien de la maman aux feuilles douces, mais qu’elle montre souvent un profil de marâtre aux épines blessantes et aux cavités casse-gueule. Rien n’y fait, elle s’éprend des végétaux et des minéraux qui peuplent le pourtour d’Alamo, oubliant son objectif : faire honneur à ceux qui ont cru en elle au détriment d’un autre Nicolas qui aurait eu bien plus de ressort pour une telle course. Éva l’évanescente risque de finir avec un score transparent.

Un qui a tout compris, c’est le teigneux Jean-Luc. Il pratique la volée de bois vert et le chemin de traverse avec une dextérité insoupçonnable jusqu’alors. Tout petit déjà, lorsqu’on lui demandait ce qu’il voulait devenir quand les poils auraient poussé, il déconcertait : « je veux être le premier sénateur révolutionnaire ! » Rien que ça ! L’irréalisme ne l’effraie pas, l’oxymore politique ne le rebute pas, du moment qu’il peut écraser quelques gros morceaux de glaise sur la tronche de ses ennemis désignés, et d’abord sur celle qui l’horripile, l’antimatière d’Éva, la solide Marine aux panards redoutables.

Elle y croit à son destin de gagnante, avec dans un coin de la tête l’exploit de son paternel qui avait remporté la première manche contre le favori d’alors, feu Lionel. Une partie épique restée dans toutes les mémoires du village qui a tremblé sur ses bases champignonnesques. La Marine s’acharne à reprendre le flambeau, même si ses amarres semblent partir un peu à vau-l’eau. Garçon manqué au Front très bas, malgré sa tignasse blonde, elle fustige à tout va pour ne pas finir candidate ratée. Voguer de la sorte en milieu terrestre pourrait la conduire à s’échouer dans une bassine abandonnée. Si elle maintenait l’érection électorale de son géniteur, la coalition des marmots perdants n’aurait de cesse de soutenir son concurrent et de lui faire goûter le premier récif venu. Pour que la Marine à voile, puis à vapeur, finisse à la rame avant la tasse finale.

Dans la famille des François, je demande celui à frisettes et à l’accent du terroir pyrénéen. Lui aussi se persuade de finir dans le duo de tête. Il sera bientôt le seul à y croire, mais ça n’a aucune importance lorsqu’on est convaincu de son destin au sommet. Qu’il se fasse doubler pas sa droite et par sa gauche ne l’inquiète même pas. Marine & Jean-Luc ? Des épiphénomènes, de la micro perturbation à négliger. Le François ne fonce pas, il prend bien soin de combler les trous qu’il croise pour assurer l’assise du trajet. Il veut un conte bien tenu pour une tortue victorieuse. Laissons-le rêver, alors que le François à lunettes bataille avec le Nicolas à talonnettes.

Les deux féroces font la course en tête, mais aucun ne touchera l’autre directement : ne surtout pas abandonner cette altitude pour reprendre le parcours à zéro. Cela n’empêche pas les coups et les vacheries pour faire choir l’autre. François connaît ses tares et sait de quelle gangue ankylosée il vient. Les critiques d’hier s’affichent comme ses soutiens du jour, mais il n’est pas dupe. Seule la victoire lui garantira l’ascendant sur ses troupes. Ses casseroles à lui tiennent à un passé de rondouillard bouffeur de fraises des bois et affublé d’une autorité de « capitaine de pédalo ». Un Chamallow rigolard, sympathique, mais sans aucune envergure pour se colleter aux faces accidentées du Fort Alamo. Suite à une révélation, il s’est transmué en athlète impitoyable, singeant parfois un peu trop son mentor, celui qui a tenu le drapeau quatorze années durant, toute une enfance en somme, le mythique Fanfan la Rose, modèle absolu d’engagement pour Sa cause. Alors il faut qu’il tienne le François, face aux assauts de l’autre, celui qui a remis son titre en jeu.

On ne le dirait pas en le voyant de loin, mais c’est bien le petit Nicolas qui les a tous doublés lors de la dernière finale. Mais ça, c’est bien du passé, et l’ambiance diffère radicalement aujourd’hui. Les boulets qu’il trimballe ne peuvent passer inaperçus. Personne ne lui a pardonné sa parade triomphante. Il a voulu grandir trop vite, oubliant que sa période de croissance était bel et bien terminée. Il doit composer avec ses restes, ce que ses soutiens désignent comme une solide expérience pour tenir le Fort, là où ses détracteurs ne perçoivent que des méfaits grossiers pour une vulgaire occupation.

La course se poursuit mais les précipitations amollissent le terrain et font du Fort un bourbier sans nom. La conquête du sommet pour se retrouver à la tête d’une terre sans fonds… Quand vont-ils enfin grandir et comprendre ?