06 mars 2011

Chirac – s’ – en balance !

A l’heure où des peuples Outre-Méditerranée tentent, au prix de leur vie, d’engager leur pays sur la voie complexe d’embûches des États de droit, nous serions inspirés de leur présenter une République française un chouia plus aboutie : un petit pas judiciaire, mais un bond de géant pour la séparation des pouvoirs.

Jusqu’à présent, nous n’avons jugé nos dirigeants qu’à l’occasion d’un changement brutal de système politique. Un Louis XVI « coupé en deux morceaux », pour reprendre l’expression de l’indigné magistral Badinter (que j’eus le privilège d’avoir une année comme professeur d’amphi lors de mes études sorbonnardes), un Napoléon déclaré « traître et rebelle » par ordonnance, quelques piteux exils, un Pétain condamné à mort sans exécution : hétéroclite brochette qui s’est étoffée au gré des soubresauts de notre histoire. C’est ce modèle que suivront les Tunisiens, Égyptiens et Libyens s’ils parviennent à attraper leur (ex) autocrate respectif.

En 2011, l’occasion se présente enfin pour nous de juger un ancien président sans changer de République. La possible maturité du fonctionnement d’institutions aguerries se profile. Certes, les affaires qui doivent occuper la Justice n’ont rien de commun avec les crimes que l’on peut reprocher aux Ben Ali, Moubarak et Kadhafi l’insane. Le tribunal correctionnel de Paris doit juger un démocrate convaincu qui a, sans doute, distribué un peu trop de confiture pour asseoir sa conquête du pouvoir et récompenser des fidélités politiques. Rien de criminel, mais du répréhensible condamnable, comme pour tout citoyen.

Certains s’émeuvent qu’on puisse faire subir l’humiliation de la comparution à un ancien chef d’État « fatigué, vieilli, victime d’une certaine usure (…) marqué par une certaine passivité » pour reprendre les formules jospiniennes cette fois de bon aloi. Tout ancien président de la République qu’il est, il doit répondre de ses responsabilités passées, comme a dû le faire notre nouveau et frétillant ministre des Affaires étrangères. A l’impunité présidentielle devrait s’ajouter la complaisance envers le Corrézien cacochyme ? Ce serait la négation même d’une Justice égale pour tous. Alors oui, bien que fragilisé Jacques Chirac doit cela au pays qui lui a permis une carrière politique prodigieuse, mais pas toujours vertueuse. Pour lui, l’heure du bilan passe aussi par la case judiciaire.

C’est malheureusement sans compter avec la finauderie du talentueux maître Le Borgne, avocat d'un des autres accusés. Pour un justiciable hors norme, la question prioritaire de constitutionnalité va connaître son baptême des toges et la procrastination de l’aveugle Justice reprendre son cours désespérant. Une nouvelle dérobade, réflexe habituel de l’ex carnassier de la politique qui, en ce sens, n’a pas vieilli et encore moins mûri. Pour détourner une de ses expressions favorites : ça ne lui en touchera pas une de peur que l’autre ne se décroche… Dommage pour l’exemplarité de notre Cinquième…

Qu’un Nicolas Sarkozy laisse traîner quelques casseroles au sortir de son quinquennat et nous pourrions obtenir une détermination du pouvoir judiciaire bien plus mordante contre celui qui l’aura malmené. L’esprit de corps a la rancune tenace. Pas sûr que ce soit la posture la plus sage pour juger un ancien président.

Article publié sur les sites du journal Le Monde et d'AgoraVox

1 commentaire:

Marc a dit…

J'aime beaucoup al photo de Chirac fraudeur, que je ne connaissais pas, et qui est tout un symbole...