07 février 2008

De Cambronne à Lisbonne

Deux ans après le retentissant « merde ! » à l’Europe de l’Hexagone, les Nonistes s’ébrouent à nouveau, avec un baroud des donneurs de leçons démocratiques. Vagabondage dans les contrées de la mauvaise foi et de l’amalgame.

Les indécrottables partisans du Non au feu traité constitutionnel, de l’extrême droite à l’extrême gauche, des souverainistes aux internationalistes de nouveau alliés de fait, ont hurlé en chœur au « déni de démocratie » !

Cambronne
Deux ans après avoir fait repousser par le peuple français ce projet d’inspiration française, strictement rien de viable et permettant un consensus à vingt-sept n’a été mené à terme par les Nonistes qui vont aujourd’hui, dans leur abjection de la voie parlementaire choisie pour ratifier le traité de Lisbonne, jusqu’à se risquer à des parallèles oiseux, pour ne pas dire scandaleux. Ainsi, quelques voix anonymes venant commenter, sur le site Agoravox, un article souverainiste, se laissent aller à la menace, se vautrant dans l’incitation à la haine : « Pour ma part je noterai le nom de tous les traîtres qui voteront ce texte, de tous les journalistes qui nous expliqueront qu’il n’y avait pas d’autres solutions pour le jour de la libération et les procès de l’épuration qui suivront... » éructe le bougre Non666, du peuple, sans doute, mais non identifié.


En quoi la chronologie des élections et la transparence des intentions combinées ne permettraient-elles pas au pouvoir exécutif en place de choisir la ratification par les élus du peuple ? Les élections présidentielles, puis législatives, ont bien eu lieu deux ans après le Non référendaire ? La campagne du candidat de l’UMP a été claire sur sa résolution à recourir au Parlement pour adopter le nouveau traité négocié par les vingt-sept. Une référence suffira : le 14 avril 2007, le Focus du Monde est consacré à la construction européenne et aux propositions sur ce sujet des candidats principaux aux élections présidentielles. Pour le prétendant à l’Elysée Sarkozy, il est indiqué que « ce traité ne justifierait pas le recours à ce stade à un deuxième référendum, mais pourrait être ratifié par voie parlementaire. »


Alors au nom de quel principe vaseux, mais clairement populiste, les Nonistes ne peuvent-ils tolérer qu’une représentation nationale légitime (rappelons l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme qui valide la démocratie représentative), élue postérieurement à la consultation référendaire, ne pourrait ratifier le traité de Lisbonne ?


Cette sacralisation démagogique de la voie populaire, évidemment incapable d’erreur, imperméable aux influences malhonnêtes, me fait songer à une autre sacralisation, heureusement dépassée depuis l’an 2000, celle du jury populaire d’assises. Parce que le jugement avait été rendu par un échantillon du peuple au nom de ce même peuple, on ne pouvait imaginer qu’un appel puisse intervenir sur le fond, là même où l’accusé risquait le plus. Il aura fallu l’énormité du fiasco judiciaire et l’erreur dramatique (pas isolée, mais reconnue celle-là) du jury populaire dans l’affaire Dils pour qu’enfin la raison ouvre l’appel aux jugements des assises.


Faudra-t-il vraiment mettre à bas l’essentiel de la construction européenne à force d’enlisements successifs du fait de décisions référendaires (et si le peuple d’Irlande, cette fois-ci seul consulté directement, décidait de rejeter le traité ?) pour comprendre que la voie populaire n’est pas forcément la panacée, d’autant plus lorsque ce qui forme la majorité permettant le rejet ne peut en aucun cas se retrouver sur une quelconque majorité constructive : quel rapport entre le Non d’un Besancenot et le Non d’un Le Pen, entre le rejet du souverainiste de Villiers et celui des altermondialistes tendance Bové ? Rien, hormis l’acte destructeur : un « merde ! » stérile à l’Europe. De fait, les Nonistes ont prouvé, notamment par les élections ultérieures, qu’ils n’avaient aucune crédibilité unitaire dans la proposition d’un autre texte pour des institutions européennes en phase avec le nombre de membres.


Autre argument de l’intolérable, pour les partisans d’un nouveau Non français : le traité serait une copie conforme, mais en plus illisible (première contradiction interne) du traité constitutionnel. Et alors ? Si les « outils », pour reprendre le vocable giscardien, que proposait le texte de 2005 semblent les plus adéquats pour créer un consensus à vingt-sept, doit-on s’en priver, encore une fois ? Croit-on vraiment que les Français n’ont pas voulu d’un président de l’UE élu par le conseil européen pour deux ans et demi, qu’ils ont abhorré l’extension proposée des pouvoirs du Parlement européen, qu’ils ont vomi l’élargissement de la majorité qualifiée à davantage de domaines pour éviter le blocage systématique ? Soyons sérieux…


Quant aux politiques libérales qui seraient fourguées en catimini dans l’indigeste traité de Lisbonne, les dénonciateurs de ce scandale (on est en économie de marché, incroyable !) oublient de signaler que le contenu des politiques qui peuvent exister dans l’UE, cela se décide lors de deux élections : celle de l’exécutif dans chaque pays membre qui participera à modifier et le Conseil européen qui impulse les grandes orientations politiques, et le Conseil de l’Union européenne qui les met en œuvre ; celle du Parlement européen qui co-décide dans de plus en plus de domaines du contenu des politiques. Il ne m’est pas apparu très flagrant que dans les vingt-sept se dessinait un basculement du pouvoir au profit de l’extrême gauche ou du souverainisme droitiste. Mais sans doute ai-je mal observé…


Voilà donc l’opportunisme des Nonistes qui se rappelle à notre hanté souvenir, celui d’un grand gâchis qui n’a débouché sur rien, sauf une multitude de palabres, de sincères vœux d’intention mais sans aucune prise en compte de la réalité politique des autres pays membres. A force de chipoter sur les détails, les Nonistes oublient les fondamentaux de la raison d’être de l’UE…


Et, bien sûr, ce sont les députés (notamment socialistes) qui ont voté la révision constitutionnelle qui apparaissent comme les traîtres. Le nationalisme social s’ancre dangereusement dans notre pays...

Cet article est également paru
sur le site Agoravox
(débat virulent engendré)

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