28 mai 2012

Des divergences sur la Confluence


Destination : l’extrémité des terres lyonnaises pour une Confluence contrastée. J’embarque depuis les berges du Vieux Lyon pour me retrouver au cœur du XXIème urbain.


A gauche toute, vers cette suite tirée au cordeau de bâtisses hétéroclites. Vise cette cacophonie des formes et des couleurs : du bleu criard, du marron suspect, la désarticulation comme signature, la disharmonie comique à l’arrivée. Tiens, le plus foncé, de trois quarts, on dirait un Wall-e géant qu’on aurait enchaîné loin de sa dulcinée : il est vraiment marron, là, le petit robot sensible. Par temps sinistre, le rictus de cet ensemble aux arêtes désordonnées pourrait effrayer ses hôtes, non ?
Frileux ! Enfin de l’architecture polysémique qui assume la diversité des apparences. Ces volumes à vivre affûtent le regard par une variété dans un alignement sans fausse note. Des teintes qui accrochent, des figures géométriques qui favorisent la singularité des espaces : une rupture salutaire avec l’urbanisme plan-plan.

Admettons la hardiesse. Poussons jusqu’aux intérieurs du quartier. Je tombe sur ça : des façades aux textures rebutantes qui se font face sans respiration possible. Des artères à l’étroitesse révélatrice, le choix oppresse : une concentration sans densité créative. La promiscuité parée de verres ou de matières réfléchissantes, l’avancée est pour le moins limitée et finira par asphyxier les occupants.

Foutaise ! J’oublie l’autre facette des immeubles qui s’ouvrent sur l’espace sans vis-à-vis, une complémentarité engageante en somme. Cette intimité monumentale n’encombre pas, mais incite aux croisements furtifs. Quelques rapprochements pour une Confluence achevée, quoi de heurtant ?

Sublimer à tout prix, le Lyonnais s’affirme presque chauvin… Allons plus loin. Comble de la frime auto proclamée avant-gardiste : un extérieur béton brut avec ouvertures affublées de bois plus ou moins massif. Du déjà-vu, mais pour des motifs bassement économiques : on ne peindra pas les murs de notre nouvelle demeure, j’ai explosé mon budget !  C’est aussi la tendance de la plupart des parkings, nul besoin d’un copiage en plein air.

Pff ! Brisons le petit bout mesquin de la lorgnette. L’initiative de réunir le gris mat des murs et la clarté d’interstices parés d'une matière naturelle, là est le charme. N’oublions pas le jardin intérieur et ses boulots en croissance : l’espoir malgré la crise pour notre époque évasive. Fracassons le convenu !

C’en est trop pour mon cortex. Je vais m’abreuver au point d’eau le plus proche : une étendue glauque qui se voudrait sauvage. Au détour d’une rue, l’effet est immédiat : l’immeuble se désarticule. Tellement sûr de son art que l’archi constructeur impose ce bloc qui intrigue, amuse, désappointe, attriste puis révulse. Juste du cynisme qui se fout des habitants. Lorsque l’art chie, l’esthétisme trépasse.

Nenni ! Osons renouveler les codes : l’inattendu décalage invite à lever la tête et s’inscrit dans un ensemble inventif. Un écart avec les règles et la vie s’épice.

Vraiment ? Je me leurre… Passons le petit pont du port calme, presque dormitif, pour se rapprocher du centre commercial ouvert à tous les vents où se cumulent les mêmes enseignes qu’ailleurs. Temple des achats, comme au bon vieux temps du Vingtième. Rien de nouveau sous la bâtisse.

Peut-être, mais la coque aérienne du complexe dégourdit le regard qui s’élance vers les lignes de fuite. Les allées préservées de la foultitude ne contraignent pas à l’acquisition compulsive de biens, elles s’offrent aussi pour le vagabondage serein. Ça rime, un signe d’harmonie, non ?

Ouaip ! Sans doute comme cette enfilade : un gouda façon gruyère ayant reçu un coup de poing gargantuesque et la Sucrière qui saupoudre les lieux de ses vieilleries. Du trompe-l’esprit au nom d’une tambouille d’intentions fumeuses. Lorsque l’interprétation s’impose pour sauver des apparences rejetées, c’est que l’essence artistique a viré au gazole. Vous aurez beau inspirer ses vapeurs avec toute l’exégèse possible, ça restera du carburant qui pue.

Quel scrogneugneu ! L’orange est un cube dentelé avec, en un coin, l’appel d’air salvateur. Oui, ce bâtiment existe, vit même sous nos yeux. Laissons les grincheux se dessécher et goûtons ce fruit juteux aux saveurs soulignées par une Sucrière préservée, témoignage d’une folle époque, d’une activité pesante : de l’authentique pour accueillir les créateurs en quête sincère.

Assez ! J’ai l’esprit en friche, je dois me poser : le café Docks 40 fera l’affaire. Une fraîche boisson à quelques mètres de l’affluent qui galope dans son lit : les véhicules de l’autre rive semblent remonter le courant en trombe. Rouille et vert-de-gris surplombent la verte pelouse synthétique : planer entre deux consistances pour tutoyer la synthèse. L’ivresse réversible de la découverte, des ressentis en chantier, des paradoxes qui submergent : que les eaux de la Saône et du Rhône se rencontrent, se mélangent et s’écoulent jusqu’au delta, miroir méditerranéen de notre Confluence, avant l’épanouissement maritime.


(Photos prises par Loïc Decrauze)

3 commentaires:

Jacqueline a dit…

Je vous ai répondu sur mon article
Merci de votre pas sage
Jacqueline

Anonyme a dit…

Cher Loïc,
voilà que je découvre le quartier nouveau par tes images et tes mots.
Je reconnais bien là ton style.

Par ma part je crois que ces folies architecturales pourraient m'amuser...

J'ai hâte de rencontrer le Wall e géant ou encore le Gouda.

Reparlons-en vendredi soir.

Merci pour cette évasion lyonnaise.

HG

Loïc Decrauze a dit…

Je suis partagé, comme le montre ce texte, mais je ne demande qu'à être séduit par le coin avec le temps, les arbres qui poussent, les coins qui s'embellissent. A vendredi.