26 avril 2011

A notre guerrière danse !


A moi de jouer : la piste sablée file le tournis avec sa clameur alentour. Viens vers moi, à l’instinct, sans retenue. Que s’accomplisse notre ronde de vie : chacun de nos croisements vaut épreuve. Mon souffle s’évade dès que je l’ai dans ma ligne courbe de mire. La présence de ce partenaire imposé m’hypnotise, me galvanise. Je dois aller au bout, malgré la funeste pesanteur : air lourd, odeur de plaies, épuisant cagnard, paillettes en feu…
L’impératif : tourner toujours pour être face à lui, saisir son rythme, ses écarts, sa danse improvisée… pour mieux s’enfoncer en lui, jusqu’à la garde ! Esthétisme bestial, inhumaine rencontre ? Peu importe, la puissance du risque magnifie le sacrifice : un jour lui, l’autre moi… Sur l’aire de la dense confrontation, abattre cet ennemi à portée devient ma raison d’être. Approche-toi que je t’accroche en douleur… Nous nous épuiserons jusqu’à la corne, jusqu’au bout des ongles, sans jamais renoncer.

Ivre de mouvements, je peine à lui décocher cette tournée. Je perçois pourtant quelques notes soufflées qui saluent notre éphémère symbiose, avant le glas glaçant qui me fera m’effondrer. Mais avant cela baroudons, heurtons-nous sans rogne et peut-être tutoierons-nous cette grâce salvatrice.
Mixtion matador-taureau

Je le ressens plus que je ne le vois, je l’effleure pour retarder l’ultime heurt, je gravite à l’horizontal repos, abîme des sens en tension, muscles et tendons attisés, esprit exalté, mixtion. Il est temps : face à face, sus à celui qui perd ses moyens, je fonds sur l’autre pour un dernier mouvement mortifère. Je n’en vois pas la fin…

A force de me projeter dans l’arène, tout se mélange : matador et taureau, sueur en sang, sable pour scènes épiques, oreilles offertes, torero gracié. Je digère poussivement les trois tonnes de barbaque proposées, mais je ne regrette pas la découverte de cette lutte tragique. Pour moi, un baptême du feu spectacle pour de vrais engagements, mais probable passion mort-née…

EPILOGUE : Je lis dans un article de "La Provence" du 23 avril 2011 que la tauromachie est reconnue comme faisant officiellement partie du "patrimoine immatériel français". Pas sûr que cela calme les dénonciateurs de ce qui leur apparaît comme un spectacle barbare où l'on joue avec la nourriture ! J'y vois moi surtout une hypocrisie : les mêmes tolèrent l'existence d'un système industriel d'extermination des bovins pour garantir notre alimentation carnée mais s'insurgent contre la mise en scène d'une lutte pour la vie, tellement révélatrice de l'histoire guerrière de notre humanité, si peu humaniste...

(Photos prises par Loïc Decrauze, Arène d'Arles, le 24 avril)



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